Hydrogène : entre sécurité, promesses écologiques et souveraineté énergétique

Technique et controversé, l’hydrogène fait partie de ces sujets qui percent à travers les médias et fils d’actualités. Nouvel eldorado pour certains, chimère pour d’autres, il n’en reste pas moins un sujet de pointe qui implique des connaissances transverses pour s’en faire une idée face aux enjeux énergétiques et écologiques.
De quoi parle t’on ?
L’hydrogène est un élément chimique fondamental présent dans l’univers et naturellement abondant sur Terre. Plus exactement, le sujet discuté fait généralement référence au di-hydrogène, une de ses formes moléculaires, gazeuse dans les conditions normales de température et de pression. Très légère, inflammable, elle combine deux atomes d’hydrogène. Pour son usage, elle est généralement obtenue par synthèse directe ou indirecte de nos outils de production.

Catastrophes marquantes
C’est en 2009, étudiant la cindynique, que je découvre l’hydrogène par l’analyse de l’accident du Zeppelin LZ 129 Hindenburg, catastrophe aéronautique allemande survenue le 6 mai 1937 sur le sol et devant les objectifs de médias américains.
L’hydrogène, inflammable, était employé par l’industrie allemande en alternative à l’hélium, inerte mais moins portant, plus rare, plus chère et sous embargo américain. Sa densité, si faible par rapport à l’air, permettait aux dirigeables Zeppelin de se porter dans le ciel pour une luxueuse transatlantique de trois jours.
Malgré la survie miraculeuse d’une majorité de ses occupants (61 sur 97), la violence de l’embrasement du LZ 129, immortalisée en temps réel et largement diffusée dans les médias, sonnera le glas de ce type d’aéronefs pourtant propres et silencieux, laissant place au développement de l’aviation civile popularisée par Boeing.
Le 11 mars 2011, c’est sur la centrale nucléaire de Fukushima que sont braquées les caméras du monde entier. Endomagée à la suite d’un tsunami, ses réacteurs ne sont plus refroidis comme ils le devraient, générant un excès d’hydrogène, sous produit de la réaction nucléaire. La pression excessive aura raison de la structure du bâtiment. L’explosion diffusée en direct libère toutes les craintes d’un accident nucléaire.
Ces deux catastrophes auront largement contribué à associer l’hydrogène à une psychose qui subsiste de nos jours quand aux risques d’explosion qui peuvent se présenter lors de son exploitation.
Espoirs écologiques
Reclus à une utilisation en milieux industriels plus enclins à la maîtrise des risques d’incendie et d’explosion, la technologie hydrogène a évolué vers les piles du même nom. L’espoir d’une source d’énergie décarbonnée. Car ici ce carburant, bien qu’inflammable mais dépourvu de carbone, n’a pas vocation à être brûlé pour produire de la chaleur, de la pression ou une force mécanique, mais à produire chimiquement de l’électricité au sein de piles à combustibles. Combinant l’oxydation du dihydrogène à la réduction du dioxygène, ces piles produisent de l’énergie de manière continue (par conversion) à la différence des batteries qui fonctionnent de façon cyclique (charge – décharge).
La réaction inverse existe et permet de produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. Celle-ci consomme en revanche de l’énergie, questionnant son rendement et sa pertinence écologique si toutefois celle-ci n’était pas elle-même dé-carbonée.
Les résultats de ces performances sont très variables suivant les électrolyseurs et l’origine de l’électricité qui les alimente pour établir un comparatif pertinent face, par exemple, à la production, à l’importation et au raffinage d’un baril de pétrole brut (bien que la maturité des connaissances et technologies soient à l’avantage de cette forme d’énergie).
L’hydrogène est en revanche un sous-produit de la production nucléaire d’électricité qui s’intéresse depuis un demi-siècle à le capter et plus récemment à fournir de l’hydrogène dé-carboné.
https://www.sfen.org/rgn/production-hydrogene-utilisant-nucleaire-avenir-carbone/
Recherche et développement
A ce stade l’hydrogène entretient autant d’espoirs que de craintes. Soucieux de recevoir un éclairage pragmatique, par une approche technique et scientifique je me suis tourné en 2023 vers une formation proposée par l’INSTN et le Commissariat à l’Energie Atomique de Grenoble. Cet établissement propose des moyens d’études pour la recherche et les innovations technologiques autour de l’hydrogène jusqu’à leur industrialisation et commercialisation par les acteurs publics et privés.
Parmi eux, l’industrie automobile s’intéresse aux possibilités du dihydrogène comme carburant alternatif aux combustibles fossiles dans les moteurs thermiques ou comme source d’énergie embarquée dans les véhicules électriques. Cette hypothèse m’est apparue intéressante à creuser dans le cadre d’une étude prospective de développement d’une marque automobile à laquelle j’ai pu contribuer en 2020 dans le cadre d’un Exécutive MBA.
Opportunités industrielles
Alors que se concrétise le déclin annoncé des moteurs à combustion mûs par les combustibles fossiles, l’avènement de la voiture électrique à batterie n’est pas garantie. Le maillage et les capacités du réseau électrique, en l’état, ne permettrait pas de satisfaire les besoins en ravitaillements de la mobilité terrestre dans ses usages actuels.

En embarquant une pile à hydrogène, l’autonomie et le ravitaillement d’un véhicule à moteur électrique seraient améliorés par rapport aux batteries électriques. L’effort d’intégration technologique serait par ailleurs limité pour les centres de distribution pétroliers éprouvés au stockage et dépotage de produits inflammables.
Pour autant, l’état actuel des technologies hydrogène impose d’embarquer un équipement pesant et volumineux, limitant son usage à des moyens de transport lourds pour justifier un avantage économique et écologique tant à l’usage que dans l’analyse globale du cycle de vie. Cette contrainte privilégie le développement en faveur des poids lourds, transports collectifs, trains et navires (maritimes et fluviales). Seuls quelques marques proposent à l’heure actuelle des SUV et berlines pour tenter d’ouvrir la voie au marché de la mobilité individuelle.
Les avionneurs pourraient également revenir à l’hydrogène, désensibilisés de leur expérience passée face à l’enjeu de la transition écologique qui s’impose à leur secteur.
Reste l’usage stationnaire, permettant d’ores et déjà l’alimentation électrique de foyers, d’unités urbaines comme de grands consommateurs énergétiques (data center et industrie lourde).
Défis technologiques
D’autres défis technologiques subsistent :
- Capter ou produire de l’hydrogène en limitant le recours à des énergies elles-même décarbonées ;
- En attendant le développement de technologies capables de le maintenir par adsorptions ou absorptions sur des matériaux solides : stocker un volume d’hydrogène, particulièrement volatil et filant : à très hautes pressions, ou limiter encore les quantités d’énergies nécessaires à le refroidir et le maintenir à l’état liquide ;
- Employer conjointement un combustible : le dihydrogène, avec un comburant : le dioxygène. Deux composantes du triangle du feu qui, s’ils se mélangent, n’attendent qu’une énergie d’activation pour réaliser une combustion d’ordre explosive ;
Stratégie nationale et financements
Prenons l’exemple du transport. Que soient développés l’emploi des batteries et le maillage des chargeurs rapides, ou la technologie des piles à combustibles et des postes de distribution d’hydrogène, il s’agira en tout cas d’un choix stratégique d’orientation collective. Objet à débats, évidemment politiques dans un pays démocratique, ce sujet doit-être traité pour saisir les opportunités technologiques qui nous permettront de répondre aux impératifs écologiques, économiques et sociaux du XXI° siècle.
La France s’attache depuis le milieu du XX° siècle à développer une souveraineté énergétique plus que jamais nécessaire dans un monde en mutations, marquées par des conflits géopolitiques. Les combustibles fossiles et nucléaires placent l’hexagone dans une situation de dépendance à l’égard de ces matières premières alors même que des gisements naturels d’hydrogène sont localisés dans ses sols (comme en Bretagne ou encore à Pau).
Quels que soient ses choix en matière de mobilité, la France sait déjà son intérêt à compter sur l’hydrogène dans son mix énergétique et ambitionne d’être une référence mondiale sur ce sujet.
Dans le cadre du projet industriel « France 2030 », Emmanuel MACRON annonçait en 2021 un financement spécifique de plusieurs centaines de millions d’euros pour soutenir une entreprise biterroise spécialisée dans la production d’hydrogène dé-carboné.
Doté de 30 milliards d’euros au total, ce plan prévoit 7 milliards pour contribuer spécifiquement à franchir les obstacles au développement de la filière hydrogène et bâtir une France dé-carbonée. Une mesure incitative qui se concrétise déjà par l’installation de certains acteurs de production de la filière.